Saturday, November 17, 2012

La vie, mode d'emploi

La vie, mode d'emploi is a novel written by Georges Perec that can be analized as a model of the catalogue of the world, the trial to reduce the encyclopedia into the walls of a house. Things are obviously always present in the complex narrative plot that follows an hypothetical path developed through the apartments of a Paris house. Things are part of the house, as they participate to the scenario but also as they are part of the life.
Georges Perec présente son oeuvre.
An extrait of the book is available in Lectomaton.



An extrait with a comment:
"En 1978, Georges Perec publie son chef d'œuvre, « La vie mode d'emploi » travail marqué par l'école Oulipo et les contraintes que celle-ci entraîne. L'auteur prépare la rédaction de son œuvre par la réalisation d'un cahier des charges qui vient fixer les contraintes pour les 99 chapitres. La contrainte n'est pas une limitation à la création mais elle développe aux contraintes l'imagination de l'auteur. Dans le chapitre 53, Perec présente une pièce de l'appartement de Winckler un des personnages centraux du roman. Ce personnage est présenté à travers les relations qu'il entretient avec son épouse Marguerite, relation conjugal mais également professionnelle, passionnelle caractérisées par un aspect total particulièrement illustrer par la violence de deuil de Winckler à la mort de Marguerite. Comment Perec met-il en valeur le caractère minutieux et précis mais parfois asocial de ce couple, ainsi que les relations qu'il entretient avec les personnages touchés par le projet de Barthlebooth ?..."
(http://www.bacfrancais.com/bac_francais/714-perec-vie-mode-emploi-chapitre-53.php)

Chapter 53 - Chapitre 53
Winckler, 3

La troisième pièce de l'appartement de Gaspard Winckler.
C'est là, en face du lit, à côté de la fenêtre, qu'il y avait ce tableau carré que le faiseur de puzzles aimait tant et qui représentait trois hommes vêtus de noir dans une  antichambre ; ce n'était pas une peinture, mais une photographie retouchée, découpée dans La Petite illustration ou dans La Semaine théâtrale. Elle représentait la scène 1 de l'acte III des Ambitions perdues, mélodrame sombre d'un imitateur médiocre d'Henry Bernstein nommé Paulin-Alfort, et montrait les deux témoins du héros - interprété par Max Corneille - venant le chercher à son domicile une demi-heure avant le duel dans lequel il trouvera la mort.
C'est Marguerite qui avait découvert cette photographie au fond d'une de ces caisses de livres d'occasion qu'il y avait encore à l'époque sous les arcades du théâtre de l'Odéon : elle l'avait collée sur une toile, arrangée, coloriée, encadrée, et en avait fait cadeau à Gaspard à l'occasion de leur installation rue Simon-Grubellier.
De toutes les pièces de l'immeuble, c'est de celle-là que Valène gardait le souvenir le plus proche, cette chambre tranquille et un peu lourde, avec ses hautes plinthes de bois sombre, le lit recouvert d'une courtepointe mauve, l'étagère en bois torsadé croulant sous des livres disparates et, devant la fenêtre, la grande table où Marguerite travaillait.
Il la revoyait en train d'examiner à la loupe les délicates arabesques d'une de ces boîtes vénitiennes en carton doré avec leurs festons en relief, ou de préparer ses peintures sur sa minuscule palette d'ivoire.
Elle était jolie, avec discrétion : un teint pâle parsemé de taches de rousseur, des joues légèrement creuses, des yeux gris bleu.
Elle était miniaturiste. Elle peignait rarement des sujets originaux : elle préférait reproduire ou s'inspirer de documents existant déjà ; par exemple, elle avait dessiné le puzzle d'essai que Gaspard Winckler avait découpé pour Bartlebooth à partir de gravures sur acier publiées dans Le journal des voyages. Elle savait merveilleusement copier dans leurs presque imperceptibles détails les toutes petites scènes peintes à l'intérieur des montres de gousset, sur les boîtes à priser ou sur les gardes de missels lilliputiens, ou restaurer des tabatières, des éventails, des bonbonnières ou des médaillons. Elle avait comme clients des collectionneurs particuliers, des marchands de curiosités, des porcelainiers désireux de rééditer des services prestigieux Retour d'Égypte ou Malmaison, des bijoutiers qui lui demandaient de représenter sur le fond d'un pendentif destiné à recevoir une unique mèche de cheveux, le portrait de l'être chéri (réalisé à partir d'une photographie le plus souvent douteuse) ou des libraires d'art pour qui elle retouchait des vignettes romantiques ou des enluminures de livres d'heures.
Sa minutie, son respect, son habileté, étaient extraordinaires. Dans un cadre long de quatre centimètres et large de trois, elle faisait entrer un paysage tout entier avec un ciel bleu pâle parsemé de petits nuages blancs, un horizon de collines mollement ondulées aux flancs couverts de vignes, un château, deux routes au croisement desquelles galopait un cavalier vêtu de rouge monté sur un cheval bai, un cimetière avec deux fossoyeurs portant des bêches, un cyprès, des oliviers, une rivière bordée de peupliers avec trois pêcheurs assis au bord des rives, et, dans une barque, deux tout petits personnages vêtus de blanc.
Ou bien sur l'à-plat d'émail d'une chevalière, elle restituait un paysage énigmatique où, sous un ciel auroral, parmi des herbes pâles bordant un lac gelé, un âne flairait les racines d'un arbre ; sur le tronc était cloué une lanterne grise ; dans les branches un nid, vide, était posé. Cette femme si précise et si mesurée avait paradoxalement un irrésistible attrait pour le fouillis.
Sa table était un éternel capharnaüm, toujours encombrée de tout un matériel inutile, de tout un entassement d'objets hétéroclites, de tout un désordre dont il lui fallait sans cesse endiguer l'invasion, avant de pouvoir se mettre à travailler : lettres, verres, bouteilles, étiquettes, porte plumes, assiettes, boîtes d'allumettes, tasses, tubes, ciseaux, carnets, médicaments, billets de banque, menue monnaie, compas, photographies, coupures de presse, timbres ; et des feuilles volantes, des pages arrachées à des bloc-notes ou à des éphémérides, un pèse-lettre, un compte-fil de laiton, l'encrier de gros verre taillé, les boîtes de plumes, la boîte verte et noire de 100 plumes de La République n° 705 de Gilbert et Blanzy-Poure, et la boîte beige et bise de 144 plumes à la ronde n° 394 de Baignol et Farjon, le coupe-papier à manche de corne, les gommes, les boîtes de punaises et d'agrafes, les limes à ongle en carton émerisé, et l'immortelle dans son soliflore de chez Kirby Beard, et le paquet de cigarettes Athletic avec le sprinter au maillot blanc rayé de bleu portant un dossard avec le numéro 39 écrit en rouge franchissant bien loin devant les autres la ligne d'arrivée, et les clés reliées par une chaînette, le double décimètre en bois jaune, la boîte avec l'inscription CURIOUSLY STRONG ALTOIDS PEPPERMINT OIL, le pot de faïence bleue avec tous ses crayons, le presse-papier en onyx, les petits godet hémisphériques un peu analogues à ceux dont on se sert pour les bains d'yeux (ou pour cuire les escargots), dans lesquels elle mélangeait ses couleurs, et la coupelle en métal anglais, dont les deux compartiments étaient toujours remplis, l'un de pistaches salées, l'autre de bonbons à la violette.
Seul un chat pouvait se mouvoir au milieu de cette accumulation sans provoquer d'écroulements, et de fait, Gaspard et Marguerite avaient un chat, un grand matou roux qu'ils avaient d'abord appelé Leroux, puis Gaston, puis Chéri Bibi et enfin, après une ultime aphérèse, Ribibi, qui n'aimait rien tant que se promener au milieu de toutes ces affaires sans les déranger le moins du monde, finissant par s'y accroupir tout à fait confortablement à moins qu'il ne s'installe sur le cou de sa maîtresse en laissant pendre indolemment ses pattes de chaque côté.
Marguerite un jour raconta à Valène comment elle avait rencontré Gaspard Winckler. C'était en mille neuf cent trente un matin de novembre, à Marseille, dans un café de la rue Bleue, non loin de l'arsenal et de la caserne Saint Charles. Dehors, il tombait une pluie fine et froide. Elle portait un tailleur gris et un ciré noir serré à la taille par une large ceinture. Elle avait dix-neuf ans, venait de rentrer en France et debout devant le comptoir buvait un café noir en lisant les petites annonces des Derniers Nouvelles de Marseille. Le patron du café, un nommé la Brigue, personnage aussi peu courtelinesque que possible, surveillait d'un oeil soupçonneux un militaire dont il semblait avoir décidé par avance qu'il n'aurait pas de quoi payer son grand crème et ses tartines beurrées.
C'était Gaspard Winckler et le patron du café ne se trompait pas tellement : la mort de Monsieur Gouttman avait laissé son apprenti dans une situation difficile ; âgé de dix-neuf ans à peine, connaissant à fond un grand nombre de techniques sans avoir réellement un métier, Winckler ne possédait presque aucun expérience de la vie professionnelle, et n'avait ni logement, ni ami, ni famille : car lorsque, chassé de Charny par le propriétaire de la maison que Gouttman louait, il revint à la Ferté-Milon, ce fut pour apprendre que son père était mort à Verdun, que sa mère, remariée à un employé d'assurances, vivait maintenant au Caire, et que sa soeur Anne, d'un an sa cadette, venait d'épouser un Cyrille Voltimand, ouvrier carreleur à Paris, dans le dix-neuvième arrondissement. Et c'est ainsi qu'un jour de mars 1929, Gaspard Winckler arriva, à pied, dans la capitale, qu'il découvrait pour la première fois de sa vie. Il arpenta consciencieusement les rues du dix-neuvième arrondissement et s'enquit poliment chez tous les carreleurs qu'il rencontra sur son chemin d'un Voltimand Cyrille qui serait censément son beau-frère. Mais il ne le trouva pas et ne sachant que faire finit par s'engager.
Il passa les dix-huit mois qui suivirent dans un fortin entre Bou Jeloud et Bab Fetouh, non loin du Maroc espagnol, où il n'eut pratiquement rien d'autre à faire que sculpter des quilles exagérément ouvragées à l'intention des trois quarts de la garnison, occupation qui en valait bien une autre et qui, au moins, lui permit de ne pas perdre la main.
Il était revenu d'Afrique la veille. Il avait joué pendant la traversée et s'était fait ratisser quasiment tout son pécule. Marguerite elle-même était sans travail, mais elle put quand même lui offrir son café et ses tartines.
Ils se marièrent quelques jours plus tard et montèrent à Paris. Les premiers temps furent difficiles, mais ils eurent la chance de trouver du travail assez vite : lui chez un marchand de jouets débordé à l'approche de Noël, elle, un peu plus tard, chez un collectionneur d'instruments de musique anciens qui lui demanda de décorer d'après des documents d'époque une merveilleuse épinette réputée avoir appartenu à Champion de Chambonnières et dont il avait dû faire refaire le couvercle : au milieu d'une abondance de feuillages, de guirlandes et d'entrelacs imitant une marqueterie, Marguerite peignit dans deux cercles de trois centimètres de diamètre, deux portraits : un jeune homme au visage un peu mièvre, vu de trois quarts, perruque poudrée, veste
noire, gilet jaune, cravate de dentelle blanche, qui se tient, un coude appuyé sur une cheminée de marbre, devant un grand rideau saumon à demi tiré, dévoilant partiellement une fenêtre par laquelle se distingue une grille ; et une jeune femme, belle, un peu grasse, avec de grands yeux bruns et des joues vermeilles, une perruque poudrée avec un ruban rose et une rose, et un fichu de mousseline blanche largement décolleté.
Valène fit la connaissance des Winckler quelques jours après leur emménagement rue Simon-Crubellier, chez Bartlebooth qui les avait conviés à dîner tous les trois. Tout de suite il se sentit attiré par cette femme douce et rieuse qui posait sur le monde un regard si limpide. Il aimait le geste qu'elle faisait pour ramener ses cheveux en arrière ; il aimait la manière pleine d'assurance et en même temps de grâce dont elle prenait appui sur son coude gauche avant d'esquisser du bout de son pinceau fin comme un cheveu une microscopique ombre verte dans un oeil.
De sa famille, de son enfance, de ses voyages, elle ne lui parla presque jamais. Une seule fois elle lui raconta qu'elle avait revu dans un rêve la maison des champs où elle avait passé tous ses étés d'adolescente : une grande bâtisse blanche envahie de clématites, avec un grenier qui lui faisait peur, et une petite charrette tirée par un âne qui répondait au doux prénom de Boniface.
Plusieurs fois, tandis que Winckler s'enfermait dans son atelier, ils allèrent se promener ensemble. Ils allaient au Parc Monceau, ou suivaient le chemin de fer de petite ceinture le long du boulevard Péreire, ou allaient voir des expositions boulevard Haussmann, avenue de Messine, rue du Faubourg Saint-Honoré. Parfois, Bartlebooth les emmenait tous les trois visiter les châteaux de la Loire ou les invitait quelques jours à Deauville. Une fois même, l'été mille neuf cent trentesept, alors qu'il cabotait sur son yacht l'Alcyon le long des côtes adriatiques, il les convia à venir passer deux mois avec lui entre Trieste et Corfou, leur faisant découvrir les palais roses de Piran, les palaces fin de siècle de Portoroz, les ruines dioclétiennes de Spalato, la myriade des îles dalmates, Raguse, devenue depuis quelques années Dubrovnik, et les reliefs tourmentés des Bouches de Cattaro et de la Montagne Noire.
C'est au cours de cet inoubliable voyage qu'un soir, en face des murailles crénelées de Rovigno, Valène avoua à la jeune femme qu'il l'aimait, n'obtenant en réponse qu'un ineffable sourire.
Plusieurs fois, il rêva de s'enfuir avec elle, ou loin d'elle, mais ils restèrent comme ils étaient, proches et lointains, dans la tendresse et le désespoir d'une amitié infranchissable. Elle mourut en novembre mille neuf cent quarante-trois, en mettant au monde un enfant mort-né.
Pendant tout l'hiver, Gaspard Winckler resta assis à la table où elle venait travailler, gardant dans ses mains un à un tous les objets qu'elle avait touchés, qu'elle avait regardés, qu'elle avait aimés, le caillou vitrifié avec ses rainures blanches, beiges et orange, la petite licorne de jade, rescapée d'un précieux jeu d'échecs, et la broche florentine qu'il lui avait offerte parce qu'il y avait dessus, en microscopiques mosaïques, trois marguerites.
Puis un jour il jeta tout ce qu'il y avait sur cette table, et il brûla la table, et il alla porter Ribibi chez le vétérinaire de la rue Alfred-de-Vigny et le fit piquer ; il jeta les livres et l'étagère de bois torsadé, la courtepointe mauve, le fauteuil anglais dans lequel elle s'asseyait, avec son dossier bas et sa galette de cuir noir, tout ce qui gardait sa trace, tout ce qui portait sa marque, ne conservant dans cette chambre que le lit et, en face du lit, ce tableau mélancolique aux trois hommes vêtus de noir.
Puis il retourna dans son atelier, où onze aquarelles encore intactes dans leurs enveloppes portant des timbres d'Argentine et du Chili, attendaient de devenir puzzles.
La chambre est aujourd'hui une pièce grise de poussière et de tristesse, une pièce vide et sale avec un papier terni ; par la porte ouverte sur le cabinet de toilette délabré, on découvre un lavabo maculé de tartre et de rouille sur le rebond ébréché duquel une bouteille entamée de Pschitt orange achève depuis deux ans de verdir. (Georges Perec, La vie, mode d'emploi, Paris : Hachette, 1978).

Another extrait: La salle de bains attenant à la chambre du Docteur Dinteville.

An Italian comment by Mariolina Bongiovanni Bertini.

The book by Georges Perec can be compared with At Home by Bill Bryson: two different ways to describe the private life.

No comments:

Post a Comment